César, citation : « Repoussés deux fois avec de grandes pertes, les Gaulois tiennent conseil sur ce qui leur reste à faire. Ils ont recours à des gens qui connaissent le pays et se font instruire par eux du site de nos forts supérieurs et de la manière dont ils sont fortifiés Il y avait au nord une colline qu'on n'avait pu comprendre dans l'enceinte de nos retranchements, à cause de son trop grand circuit ; ce qui nous avait obligés d'établir notre camp sur un terrain à mi-côte et dans une position nécessairement peu favorable. Là commandaient les lieutenants C. Antistius Réginus et C. Caninius Rébilus avec deux légions. Ayant fait reconnaître les lieux par leurs éclaireurs, les chefs ennemis forment un corps de soixante mille hommes, choisis dans toute l'armée gauloise et surtout parmi les nations qui avaient la plus haute réputation de courage. Ils arrêtent secrètement entre eux quand et comment ils doivent agir ; ils fixent l'attaque à l'heure de midi, et mettent à la tête de ces troupes l'Arverne Vercasivellaunos, parent de Vercingétorix, et l'un des quatre généraux gaulois. II sort de son camp à la première veille ; et ayant achevé sa route un peu avant le point du jour, il se cache derrière la montagne, et fait reposer ses soldats des fatigues de la nuit. Vers midi, il marche vers cette partie du camp romain dont nous avons parlé plus haut ». César, 7, 7.83.
« La plus vive action a lieu surtout aux forts supérieurs où nous avons vu que Vercasivellaunos avait été envoyé. » César, 7, 7. 85.
Il existerait donc au nord d'Alésia, une colline ou une montagne dont la taille, excessive, ne permet pas l'incorporation dans les lignes césariennes. Cet endroit va être le lieu de la plus grande bataille du site. Cette donnée parait confirmée par la topographie, en effet, il existe bien une colline au Nord d’Alise : il s'agit du Mont Réa situé au nord-ouest de l'oppidum.
Après Napoléon III, l'un des premiers à identifier le lieu avec certitude, est Camille Jullian (1) : « Il y avait là un gros éperon montagneux (le mont Réa) que le proconsul n'avait pu comprendre dans ses lignes : il s'était borné à les faire passer à mi-hauteur, en contre-bas du sommet. (Vercassivellaun...) apparut sur le sommet du mont Réa, par-dessus les lignes romaines ».
« Comm et les autres apprirent ainsi, et sans peine, que le camp romain du nord-ouest se trouvait dans une situation défavorable, en contre-bas et en pente sous les roches et les bois du Mont Réa. Vercassivellaun quitta son camp après la tombée de la nuit, marcha au Nord en s'éloignant d'Alésia (en aval de la Brenne ?), revint vers le Sud (par le ru d'Eringes ?) et finit par s'arrêter, vers le lever du jour, à quelque 1500 mètres du mont Réa (dans les ravins au nord de Ménétreux ?), caché derrière les collines... Vercassivellaun fait gravir aux siens les pentes du mont Réa, qui dominait le camp romain (2)».
A la suite de Camille Jullian, la plupart des auteurs n'auront donc aucune peine à faire coïncider l'action décrite dans le B.G. et le Mont Réa (3)(4)(5). Jean-Louis Voisin, l'un des tout derniers auteurs à avoir écrit sur le sujet, considère lui aussi que la hauteur « est l'actuel mont Réa. L'incorporer au système de défense romain aurait conduit César à un étirement excessif de ses lignes, sans gain substantiel. » il confirme donc sans ambiguïté que le Réa est la colline du nord, précisant que la troupe de Vercassivellaun « effectue un large détour pour éviter les patrouilles romaines, franchit à gué la Brenne, contourne le Réa, par le nord sans être repéré par les romains, s'y repose de la marche nocturne, et vers midi, dégringole sur le camp romain, situé en contrebas, à mi-pente, sur le versant sud du Réa (6).»
Pour tous ces chercheurs, il n'y a aucun doute ! Conformément au texte, le Mont Réa (comme les autres secteurs) correspondrait topographiquement, stratégiquement et tactiquement à la description de César, situation qui est résumée ainsi par Michel Reddé : « Il n'y a donc absolument rien, dans la description césarienne, qui puisse être contredite par la topographie du Mont-Auxois et de ses environs (7).»
Confirmation par l’archéologie ?
Suivant toutes ces observations formulées par les spécialistes du site, il découlerait donc que le sommet du mont Réa n'a pas connu d'occupation romaine (8), qu'un ou deux camps importants doivent être décelables à mi-pente et que comme pour les fossés de contrevallation du même secteur, les fossés de circonvallation doivent contenir les très nombreuses traces archéologiques de l'attaque massive extérieure sur les retranchements situés sous le Réa.
Qu'en est-il exactement ?
1° L'occupation du Mont Réa
Contrairement aux affirmations, même récentes, les hauteurs du Réa ont bien été occupées de manière relativement importante. Les découvertes d'artéfacts, bien que limitées a du travail de prospection, ont été très nombreuses : clous de sandales romaines, monnaies celtiques, fibules à charnière, balles de frondes, pointes de flèches (9)...
2° Traces archéologiques modernes des camps sous le Réa
Le camp découvert par les fouilleurs de Napoléon III ayant été invalidé par les recherches modernes, il n'existe actuellement plus de traces réelles de camp sous le Réa (10), il ne subsiste que des hypothèses bâties au XIXe siècle, toujours non confirmées (11).
3° Les traces de la bataille au fond du fossé de circonvallation sous le Réa
Le fossé de circonvallation de la plaine de Grésigny qui mène au pied du Réa a été intégralement fouillé et il ne révèle aucune trace de lutte et donc aucun matériel militaire, il n'y a pas eu là, attaque des fortifications extérieures. Seule une occupation domestique a été relevée, ossements d'animaux et amphores : « Le fossé. Il a été recoupé en plusieurs endroits. Les données stratigraphiques réunies sont cohérentes et il est possible d'en proposer une synthèse (…) Dans le sondage 1, la couche inférieure de remplissage du fossé a livré un matériel détritique relativement abondant, constitué de fragments d'amphores et d'ossements d'animaux (bœuf et cheval principalement). Ce dépôt, clairement limité à la partie la plus étroite du fond du fossé (sa largeur ne dépassait pas 0,30 m, sur plusieurs mètres de long), enrobé dans une argile presque pure, peut certainement être mis en relation avec le siège (12).»
Quelles conclusions après l’examen des dernières fouilles ?
1) Le Haut-Réa a bien été occupé, l'archéologie le démontre.
2) Les lignes extérieures de défenses, sous le Réa, n'ont pas subi d'assaut.
3) Le grand camp (2 légions) décrit par César n'a pu être retrouvé lors des fouilles de 1991 à 1997.
De manière moins synthétique, il faut remarquer que toutes les hauteurs autour de l'oppidum d'Alise-Sainte-reine ont été munies de camps ou castella (13), et aucune des lignes césariennes ne peut englober les vastes plateaux sur lesquels elles courent. Pour quel motif - rationnel - le mont Réa ferait-il exception ?
Seule la fidélité aveugle au texte césarien explique que tous les auteurs excluent l'hypothèse d'un camp au sommet du Réa, alors même que la logique topographique, stratégique ainsi que l'archéologie indiquent que cette colline a bien été occupée.
Le déficit de fouilles modernes de grande ampleur sur le Réa ne permet certes pas d'adopter une position définitive sur ce sujet très controversé. Mais en l'état actuel du dossier, déjà très conséquent, le Mont Réa ne peut en aucune manière être assimilé à la colline du nord décrite par César, les trois points qui viennent d'être récapitulés supra suffisent à invalider l'hypothèse qui fait de cette colline l'enjeu de la bataille qui décida du sort d'Alésia.
Comment cet élément topographique, d'une importance capitale, peut-il être traité si légèrement ?
NOTES ET REFERENCES :
(1) C.Jullian, Histoire de la Gaule, III, p.524.
(2) C.Jullian, Vercingétorix, p.291.
(3) Tel J. Le Gall : « Au nord (les lignes) n'englobaient pas le Rhéa, car, pour l'occuper, il eût fallu élargir considérablement leur périmètre ; elles passaient à mi-pente et au pied il y avait là un camp dans une position presque défavorable, légèrement en pente, dominé par le sommet des collines... (les gaulois) passèrent la Brenne à gué puis remontèrent par la combe où se blottit aujourd'hui le petit village de Ménétreux-le-Pitois. Quand le jour revint (…) ils étaient en train d'achever leur mouvement et le Rhéa les dissimulait aux observateurs romains. » J. Le Gall, Alésia. Archéologie et histoire, Fayard, Paris, 1963, p. 98. « Arrivés au petit jour sur le Réa hors la vue des romains, ils bivouaquèrent jusqu'à l'heure prévue de l'attaque (…). » J. Le Gall, La bataille d'Alésia, Publications de la Sorbonne, Paris, 2000, p. 88.
(4) « Plus intéressante pour la compréhension du déroulement des opérations est la précision selon laquelle les forces romaines n'avaient pu fortifier complétement le Réa, en raison de sa taille, ainsi que l'indication d'une pente favorable. De fait le Réa proprement dit est la seule colline du site qui soit dominée au nord par des pentes certes faibles, mais qui placent tout assiégé en position défavorable, alors que partout ailleurs, le sommet des hauteurs qui bordent Alise a pu être tenu sans difficulté. Occuper le point culminant (la Chaume ronde, 407 m) aurait conduit à un étirement important des lignes sans gain notable. » M. Reddé, Alésia - l'archéologie face à l'imaginaire, 2003, p.137. Nous ne comprenons pas ce point de vue qui est assimilable à la méthode Coué, pour le moins. Tous les camps autour d'Alise sont situés en bord de plateau et ne sont donc pas positionnés sur les points hauts. Le castellum 18 est surplombé légèrement par le « dessus du Parc, 398 m », idem pour le camp C par « les Grandes Munières, 422 m », de même pour le castellum 15 « sur Recey, vers 410 m » ainsi que le camp B par « les Murées Montferrand, 430 m », et on pourrait en dire autant des lignes sur le Pennevelle situées en contrebas de la « ferme d'Epermaille, 403 m ».
(5) L'explication de la bataille décisive par Yann Le Bohec sur le site du mont Réa paraît, elle, un peu confuse. En effet, après une explication classique et conforme au texte : « Ils envoyèrent des éclaireurs et firent choix d'un terrain en légère pente qui leur permettrait de cacher leurs hommes à la vue du camp romain. » il nous précise que les romains sortirent des camps attaqués sous le Réa pour faire une « sortie et il y eut une grande rencontre en rase campagne. ». On imagine mal pourtant les effectifs romains assiégés dans leurs camps situés à mi-pente du Réa, attaqués par les hauteurs et par la masse énorme des 60000 hommes de Vercassivellaun, arriver à faire une sortie massive, traverser la foule des assaillants et entraîner à leur suite les gaulois plusieurs centaines de mètres plus loin et plus haut en « rase-campagne », en fait sur le plateau (chaume ronde) qui prolonge le Mont-Réa. Pourtant Le Bohec persiste dans son explication en estimant que les romains au nombre de 33000 (!) ont eu besoin pour se déployer de 3 à 5 km en largeur (!) et 5 à 6 km en longueur (!) et qu'il faut donc chercher le lieu de l'affrontement de la fameuse bataille du nord, au nord du Réa, et même « au nord de l'actuel village de Ménétreux-le-Pitois ou, à la rigueur, au nord de l'agglomération de Bussy-Rabutin. » Y. Le Bohec, Alésia, 2012, p. 166.
(6) Jean-Louis Voisin a participé à la conception du Muséoparc d'Alise-Sainte-Reine et est à ce titre un des meilleurs connaisseurs du site. On remarquera tout de même que ses commentaires sur la stratégie appliquée au Réa sont un copié-collé de ceux déjà émis par Le Gall et Reddé. Il est à espérer qu'il a réellement reconnu le terrain avant d'en tirer les mêmes conclusions. J.-L. Voisin, Alésia - Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, p. 103.
(7) M. Reddé, op. cit., p. 137.
(8) Sinon les guetteurs romains n'auraient eu aucune peine à déceler l'arrivée des 60000 hommes de Vercassivellaun. Cette non-occupation d'une hauteur pourtant stratégique ne semble poser problème à aucun défenseur du site alisien, à l'exception peut-être de C. Jullian qui signale brièvement en note : « Il devait y avoir seulement une redoute ou un poste de surveillance au sommet. » C.Jullian, op. cit., note 2, p.524.
(9) Les artéfacts trouvés sur les hauteurs du Réa l'ont été en prospections de surface, on se gardera donc bien de préjuger que toutes les découvertes sont liées au siège. Toutefois, le nombre d'objets retrouvé est significatif : 3 monnaies celtiques, n° 355, 493, 518 (p. 29, 32,33), manipule de bouclier ?, n° 113 (p. 216), talon de lance, n° 415 (p. 230), armature de trait de catapulte, n° 570 (p. 234), pointe de flèche à douille, n° 589 (p. 235), 3 balles de fronde, n° 744, 745 et 752 (p. 239), fibule à charnière type Alésia, n° 59 (p. 299), 17 clous de caligae sur le Haut-Réa, Par comparaison : 2 seulement sur le bas du Réa, (tableau p. 304), louche, n° 165 (p. 308), lame de couteau, n° 169 (p. 309), 5 serpettes, n° 195 à 199 (p. 313), tarière, n° 210 (p. 314), petite enclume, n° 217 (p. 315), enclumette, n° 218 (p. 315), 2 burins, n° 224 et 225 (p. 315), 2 mors de filet, n° 280 et 282 (p. 319), 10 fers de chevaux, n° 294 à 298 et 300 à 304 (p. 321), 2 lancettes, n° 305 et 307 (p. 322), 3 clavettes de moyeux de roues de chars ou chariots, n° 310 à 312 (p. 322), virole, n° 401 (p. 326), … ALESIA : Fouilles et recherches Franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont-Auxois (1991-1997), sous la direction de M. Reddé et S. von Schnurbein, vol 2, 2001.
(10) « L'existence du camp D, surtout identifié en raison du matériel trouvé dans les fossés au pied du Réa, ne peut plus sérieusement soutenue. » M. Joly, P. Barral, La plaine de Grésigny, in : M. Reddé et S. Von Schnurbein, op. cit., Vol 1, p.468
(11) « Sur les flancs du Réa, différents indices laissent supposer l'existence d'au moins un camp, sur un faux plat sensible, au-dessus du « camp D », les fouilles du XIXe siècle y avaient mis au jour une structure très particulière, qui ressemble beaucoup à une clavicula, et du matériel militaire romain a été trouvé en prospection juste au-dessus. Plus à l'ouest, au-dessus des abattoirs des Laumes, différentes lignes brisées laissent supposer l'existence possible d'un grand cantonnement : là aussi la documentation de Stoffel est insuffisante (...)». M. Reddé, op. cit., p. 162
(12) Pages 458 et 459 du rapport de fouille. Un autre fossé fouillé un peu plus à l'ouest et dans la pente même du Réa (« la parcelle jugée la plus pertinente a été entièrement déboisée, au printemps 1997 » p. 462) n'a lui, strictement rien délivré (« On distingue cependant, après un nettoyage soigneux, un creusement en forme de V au fond légèrement arrondi... » p.467, pas de matériel répertorié). Là encore, et de manière encore plus flagrante, aucune trace d'une quelconque bataille, ni même d'une occupation domestique liée à en éventuel camp légionnaire situé à mi-pente (cf. note précédente et note n° 9 : les artéfacts se situent plus haut dans la pente au sommet du Réa ou à son approche). A noter que les ossements les plus significatifs du fossé de circonvallation appartiennent aux chevaux et aux bœufs. Concernant les chevaux, le matériel retrouvé ne comporterait pas de trace de découpe, ce qui d'après les auteurs du rapport, indiquerait que nous aurions là des chevaux de combats (à la différence des animaux de boucherie) ayant participé à l'attaque de Vercassivellaun. La fragilité de l'argumentation demanderait un développement plus long, remarquons simplement que si nous avions là des animaux tombés au champ de bataille, nous aurions des squelettes plus ou moins entiers. Or, si nous avons bien 13 crânes, nous n'avons que 7 vertèbres, 5 côtes, 4 humérus, … N. Benecke, Les restes fauniques, in : M. Reddé et S. Von Schnurbein, op. cit., p. 375.
(13) Hormis le Pennevelle, où aucune recherche n'a été entreprise lors des dernières fouilles. Toutefois, comme pour le Réa, il semble difficile de croire que cette hauteur stratégique de 374 m n'ait pas été occupée : « Indispensable était en revanche la présence de fortins, là ou les castella 12-13 et 14 ont été imaginés, car les accès orientaux sur le Pennevelle et dans les vallées de l'Oze et de l'Ozerain nécessitaient un contrôle militaire. » S. von Schnurbein, Camps et castella, in : M. Reddé et S. Von Schnurbein, ibid., p. 513.
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